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Le blog discret mais intéressant sur l'histoire du cinéma et de ses films.

21 Aug

Merci pour le chocolat de Claude Chabrol

Publié par Michael

Merci pour le chocolat de Claude Chabrol

La surface et les apparences sont les deux mots clés de ce nouvel opus chabrolien. Comme dans tant d’autres de ses films Chabrol explore ici un univers grand bourgeois aux lisses dehors, huilé par ses conventions. La scène d’ouverture - le remariage de Mika et d’André - annonce la couleur, ajoutant au paradigme initial la fausseté. Nous voilà au milieu d’un pseudo épisode de Derrick, d’une scène conventionnelle filmée platement, d’acteurs qui jouent faux des personnages attendus (le vieux grincheux ami de la famille, le beau-fils mutique). Lors de cette scène inaugurale la caméra glisse, comme à la surface de ses propres images et ne laisse rien présager qu’un sourd sentiment de malaise. La scène suivante n’est pas pour nous éclairer ou nous rassurer. Un ferry progresse lentement sur le lac Leman, mais point d’air du large : nos héros ne partent pas vers de nouveaux horizons, ils sont depuis longtemps déjà enfermés dans leur devenir. L’image qui ne ment pas est complètement surexposée et c’est dans une grande blancheur (plus opaque que lumineuse) que vogue le navire pris lui aussi dans la surface plane de l’image.


Car dans ce film seule la mise en scène va s’approfondissant, habitant l’espace pour mieux dévoiler, ou plutôt faire miroiter la vérité de ses personnages, une vérité de surfaces. Celle réfléchissante du piano, qui nous renvoie lors de somptueux travellings l’image d’un plafond aux moulures labyrinthiques, celles des miroirs où se surprend la duplicité placide de Mika. Jeanne la voit faisant exprès de renverser le chocolat (empoisonné) quelle destinait à son beau-fils, le spectateur la voit dans la scène qu’elle se remémore avant de s’endormir, observer, le visage fermé, le trio familial dont elle est le "quart exclu ". Cette scène en flash-back est centrale, constitue l’archétype de la névrose de Mika : pièce rapportée, enfant adoptée, elle s’acharne en permanence à accéder à une place au milieu des autres. Or son combat est déjà toujours perdu car tout se joue pour elle au niveau des seules apparences (remarque révélatrice lors du conseil d’administration "l’’important c’est de préserver les apparences "). C’est ainsi que ce soir là, ce soir où elle élimine l’Autre, c’est visuellement qu’elle prend sa place : à la fin de la scène elle est venue se positionner à l’endroit et dans la position exacte (accoudée au piano) de celle qu’elle vient d’envoyer à la mort. Reste que si Mika est prisonnière des apparences, de sa gentillesse factice et forcée, son mari André est son parfait pendant muré dans son art (il n’y a guère qu’avec Jeanne, pianiste elle aussi qu’il communique).


Le scénario tourne ainsi autour du thème de la substitution (les femmes dans la vie d’André, l’interversion possible des enfants à la maternité) et de la répétition : le plan de Mika comme la fabrication rituelle du chocolat, les morceaux de piano, etc…


L’histoire ne progresse pas vraiment mais bien plutôt s’enroule sur elle-même comme l’escalier tant de fois monté et descendu par Mika, escalier dont elle semble prisonnière et qui métaphorise son obsession (elle est dans un entre-deux permanent, ce serait cela peut-être le statut du manipulateur, non pas au-dessus mais dans une autre dimension que ceux qu’il manipule). Le spectateur sait bien qu’elle est coupable, c’est une diabolique sans inventivité qui reproduit toujours les mêmes schémas et il n’est pas plus surpris que le mari de l’aveu final, d’ailleurs dépassionné.


Outre une anxiété de palais des glaces issue de la multiplication des effets de miroir et des jeux de surfaces d’autant plus inquiétants qu’aucune profondeur ne vient les expliquer, aucune perspective les orienter, on notera que Chabrol attache un soin particulier à mettre en valeur des motifs récurrents qui se chargent de tension. Le traitement réservé aux boissons en est un exemple saisissant : le chocolat bien sûr mais aussi le café, substances troubles auxquelles s’opposent l’eau (verre d’eau que l'ami/amant de Jeanne lui apporte, verre que prennent Mika et André suite à leur petite réception et enfin verre qu’André demande le soir où Jeanne est venue passer la nuit), jus d’ananas ou thé, chaque action d’un personnage apportant une boisson à un autre se charge d’une tension réminiscente du verre de lait de Soupçons d’Hitchcock. C’est là la magie de ce film de glace que de rendre intense le moindre détail, le moindre mouvement de caméra.

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